EN DOUCEUR
du 15 septembre au 8 novembre 2024
Les sollicitations incessantes, l’accent posé sur les mauvaises nouvelles, les violences vécues ou rapportées, nous font oublier que la douceur est aussi de ce monde. Douceur d’une matière, douceur d’une forme, douceur d’une lumière, douceur d’une nuance. La douceur n’est pas synonyme de fadeur, de mièvrerie, ou de mollesse. La douceur n’exclut ni la dureté, ni la douleur, ni l’inquiétude. Elle permet seulement d’affronter la réalité plus sereinement et d’entrevoir la possibilité d’un futur réparateur.
Les œuvres des 6 artistes présents distillent leur douceur par des lignes , des formes, des dégradés de couleur. Elles l’instillent dans les matières, l’équilibre des proportions, la clarté des représentations. Elles jouent parfois avec l’opposition d’éléments plus agressifs, comme cette flamme récurrente chez Vincent Bailliez. De feu, il est aussi question dans le travail de Sandra Foltz puisqu’il entre dans le processus de fabrication de ses pièces en céramique. Les titres qu’elle leur donne renvoient à des femmes autrefois disparues assassinées, accusées de sorcellerie, auxquelles elle offre l’opportunité de ressusciter comme par magie sous une tout autre forme, alors que ces présumées sorcières sont littéralement parties en fumée. A l’opposé de cette brutalité, Esther Ségal utilise la flamme comme une clé d’entrée dans un univers contemplatif, à la manière d’un Georges de la Tour, porteur d’une douceur en soi.
Les pièces de Vincent Bailliez et Sophie Pigeron sont tout en contraste. Chez le premier, la transparence pastel des encres évoque les colorations de la douce guimauve. Pourtant ses sertis noirs, son œil inquisiteur arrondi expriment une crainte sous-jacente. Chez la seconde, la délicatesse du plumage de ce fragile oiseau reposant sur le sol, la légèreté du feuillage autour d’une cabane au bord de l’eau, inspire, au-delà de la douceur, la peine et la mélancolie d’une vie envolée ou d’un souvenir perdu. Seuls les petits flocons roses d’Anne Emery, aussi cotonneux et aériens qu’une barbapapa, n’utilisent aucun double langage. A moins qu’il faille y voir un état de grâce, un moment atmosphérique suspendu, voué dans le temps, à un changement brutal.
La touche du pinceau, le geste dans l’exécution des œuvres, jouent également un rôle clé dans la perception de douceur. Chaque artiste a agi tout en retenue. Les traits sont peu appuyés, précis, évitent les épaisseurs de matière. Les mouvements sont lents, délicats, courbes, sensuels, comme dans ces dessins où Elisa Ghertman cherche l’ouverture, la respiration, le passage de la lumière. Avec Esther Ségal, il n’est pas question de pinceau, mais d’un grain photographique qui nous conduit vers la douceur intérieure de la nuit.
Dans son livre sur la « Puissance de la douceur » Anne Dufourmantelle explique que la douceur est puissante car elle est une dynamique qui porte la vie, un pouvoir de transformation sur les êtres et les choses. Elle invite à l’harmonie, à la recomposition des relations, à la simplicité. Merci à Vincent BAILLIEZ, Anne EMERY, Sandra FOLTZ, Elisa GHERTMAN, Sophie PIGERON, Esther SÉGAL de nous plonger dans un monde de douceur intense et fertile.
Frédérique Paumier-Moch
Juin 2024
« J’ai construit les dessins de cette série comme des paysages mentaux, avec des oppositions entre les formes et les couleurs. La flamme est l’élément récurrent et tout s’organise autour de cette forme « agressive » de la composition. Les autres éléments sont dans la rondeur, dans une recherche d’équilibre. C’est précisément cet équilibre qui, selon moi, génère de la douceur. »
« Nuances et couleur des émotions
Les nuances de la douceur
Les instants de douceur
L’herbier de la nuance
L’herbier de la douceur
Le doux orange dans une nuance de rose
Passer d’une nuance à l’autre »
Sandra FOLTZ
« Mes pièces en céramique trouvent leurs sources dans des représentations stéréotypées de la nature et du paysage, que je décompose, que je déconstruis, et si l’on veut que je digère : Montagnes, galets , nuages, dômes, flaques… Je fais émerger à travers ces éléments des formes primitives et essentielles proches de l’abstraction, cherchant dans mes volumes une unité, une simplicité, et une lisibilité apaisante. La douceur d’un dégradé, la délicatesse d’une ligne, la régularité et la maîtrise d’un geste répété me plongent dans un état de concentration quasi méditatif qui infuse mon travail et agit pour moi comme un rempart à la complexité brouillonne du monde.»
« Pour moi la douceur est présente dans les courbes, les bulbes, les formes arrondies. La douceur est présente dans les associations de couleurs harmonieuses qui n’excluent pas les contrastes. Dans tous mes dessins il y a aussi un mouvement d’ouverture, et la volonté de laisser respirer, de laisser passer la lumière. Je vois un lien aussi entre la douceur et la sensualité, la matière, la texture, l’épaisseur.»
« La légèreté du feuillage autour de cette cabane au bord de l’eau, m’inspire, au-delà de la douceur, la mélancolie d’un souvenir perdu »
« Par une nuit profonde,
Etant pleine d’angoisse et enflammée d’amour,
Oh ! L’heureux sort !
Je sortis sans être vue
Tandis que ma demeure était déjà en paix »
Saint Jean de la Croix – Extrait du Cantique de l’âme