D’AVANT LA CHUTE
Du 17 septembre au 15 novembre 2023
« Ce qui donne d’abord de la délectation dans «une histoire», provient de l’abondance et de la diversité des choses qu’elle contient (…) des vieillards, des jeunes gens, des garçons, des femmes, des petits enfants, des poulets, des chiots, des petits oiseaux (…) et toutes ces choses », nous dit Leon Battista Alberti dans son Traité sur la peinture paru en… 1435.
Comment ne pas se référer à la Renaissance Italienne au moment de découvrir la « Série des Sables » d’Esther Ségal ? A la manière de cette période, elle y mêle les univers profanes, mythologiques et religieux, sans chercher leurs contradictions, mais plutôt leurs réconciliations. De ses mises en scène savamment construites, sous l’influence de sa proximité avec le monde du théâtre, elle nous livre un travail photographique révélateur de la fragilité de la vie, de la douceur des rêves, de la conscience d’une bascule imminente. Le coquillage de Vénus est peut-être celui de sa naissance, il ressemble pourtant étrangement à une plante carnivore prête à happer la beauté située au-dessus d’elle.
S’en tenir à une relecture directe de certaines œuvres de Botticelli ou du Caravage serait bien trop réducteur. La Naissance de Vénus , L’adoration des Mages pour l’un, St Matthieu et l’Ange, La Madone des pèlerins pour l’autre, constituent des passerelles de temps pour cette série photographique, placée de facto quasi hors de notre époque. Pour la lire plus justement, il faut rappeler qu’Esther Ségal possède un œil de peintre, et qu’elle utilise la photographie dans son sens littéral : une écriture de lumière. Comme toute écriture, elle la met au service d’un langage rempli de codes, de symboles, de références. Inutile de chercher à tous les décrypter. Ce qui compte est la cohérence d’ensemble, l’acceptation de se laisser porter par un monde autre que le sien. Bien sûr, on reconnaît le paon christique, les Trois Grâces et les Parques, la figure des vanités, les animaux de l’arche de Noé. La Bible, les mythologies grecque et romaine, l’ésotérisme font ici bon ménage avec les fantasmes de l’artiste.
Tout aussi mystérieuse, la série « Cantique de l’âme » est un hommage au poème de Saint Jean de la Croix. Dans la pénombre et le noir de chaque photographie, la lumière brille, tantôt timide, tantôt fugace, diffuse, chaleureuse, inquiétante, étincelante. Elle murmure la douceur et la confiance, elle souffle l’espérance, elle enveloppe nos pas d’un rayon de sérénité. « Et je n’apercevais rien |Pour me guider que la lumière | Qui brillait dans mon cœur » (1). Nous sommes invités à aller jusqu’au bout de ce voyage photographique dans lequel la lumière habite toutes les nuits.
Avec la série « Fééries », nous retrouvons l’écriture au poinçon, si chère à Esther Ségal. Ecriture de points perforants dans une écriture de points de lumière, cette mise en abîme se poursuit avec les étoiles qui viennent éclairer toutes sortes d’objets et de figures. Sans autre prétention que le plaisir décoratif, l’ensemble est une promenade d’image en image dans la nuit photographique.
Alors oui, d’une série à l’autre, on se délecte vraiment de toute cette abondance de symboles, de décors, de fleurs, de coquillages, de gorgones, de flamme, de femmes, d’ange et d’animaux, tout en étant conscient que tout peut se jouer. Certaines des images d’Esther Ségal, proches de celles d’Epinal, viennent nous rappeler notre condition, nos rêveries de paradis, et nos craintes de la chute.